Les services d’écoute sont nés de l’initiative de Chad Varah, un prêtre anglican britannique.

En 1953, face au suicide des jeunes, il a l’idée de diffuser un message dans les cabines téléphoniques londoniennes : « Avant de vous suicider, téléphonez-moi ! ». Il crée ainsi le premier service d’aide par téléphone centré sur la problématique du suicide des jeunes en Angleterre. Le concept arrive en Belgique via l’Expo universelle en 1958. Créé le 9 novembre 1959 et subsidié à partir des années 70, Télé-Accueil Bruxelles devient une asbl dont les statuts sont parus au Moniteur Belge du 17 juin 1976.

Télé-Accueil Bruxelles fait partie de la Fédération des Centres de Télé-Accueil de Belgique qui regroupe les différents postes francophones : Arlon, Charleroi, Liège, Mons et Namur-Brabant Wallon. La confédération belge regroupe quant à elle les trois fédérations : Telefonhilfe (les germanophones, numéro de téléphone 108), Tele-Onthaal (les Néerlandophones, numéro de téléphone 106) et Télé-Accueil (numéro de téléphone 107).

Mais quel est ce service qui accueille la parole à toute heure du jour et de la nuit, dans l’anonymat le plus complet, quand l’étreinte de la nuit fait remonter nos angoisses les plus profondes, quand nous n’avons plus personne à qui parler, quand nous avons honte parfois d’en parler, quand nous sommes prêts à l’irréparable…

Qui sont les bénévoles au bout du fil ou plutôt comment arrivent-ils là ?

Télé-Accueil, c’est d’abord et avant tout un processus de recrutement solide en plusieurs phases… A chaque stade on évalue que le candidat bénévole convient bien au poste, à chaque stade, on vérifie que celui-ci est toujours partie prenante au projet. Le candidat doit compter 7 mois pour démarrer une formation intense à l’écoute active donnée par le CEFEC, qui existe depuis 1992 – service de formation et de supervision donné également aux professionnels et bénévoles extérieurs à Télé-Accueil mais préoccupés par les mêmes fondamentaux). Le candidat doit compter 9 mois pour démarrer son bénévolat. Entre le moment où il décroche son téléphone pour manifester un intérêt pour le projet et le moment où il écoutera son premier « usager », il y aura lecture de documents, entretien de sélection, formation, stage de 3 mois avec supervision. C’est seulement après la période de stage que le candidat prend connaissance du Vademecum, de la charte et qu’il signe la convention.

Comme vous pouvez le constater, Télé-Accueil ne vous laisse donc pas entre les oreilles de n’importe qui et considère que pouvoir parler est un droit fondamental pour tous ! Il s’agit de prendre au sérieux toute parole dite (pas forcément de la croire, mais de la considérer).

Télé-Accueil Bruxelles oscille actuellement entre 70 et 80 bénévoles pour pouvoir assurer des permanences 24h sur 24 et, malgré cela, ne peut prendre la totalité des appels entrants… Une permanence d’écoute est une permanence de 4h. Chaque écoutant a cette mission une fois par semaine, plus du temps de formation et de supervision (groupe de parole pour les écoutants). Ceci revient à une disponibilité de 18h par mois. Les bénévoles shiftent entre les journées, les soirées, les week-end, les nuits. Le temps moyen d’un appel se situe entre 20 et 25 minutes. Il y a un à trois écoutants en parallèle, présents dans des bureaux, seuls.

Les valeurs

Télé-Accueil est attentif à offrir des espaces de rencontres informels, des temps de supervision avec un psy afin que les écoutants ne soient pas dans un projet individuel mais gardent une dimension collective.

L’accueil inconditionnel dans le non-jugement sont les valeurs primordiales d’un bon écoutant, ainsi que la remise en question permanente. La solidarité et le pari que l’appelant peut « mener sa barque », « être acteur de sa vie » sont essentiels également. L’écoutant n’est pas « celui qui sait ». L’idée est que, en tant qu’écoutant, on est démuni, mais on est là. Une autre valeur est la présence à l’autre même quand on ne peut rien ou pas grand-chose pour lui. Et l’on peut se rencontrer, chacun dans sa singularité.

Un observatoire social

Télé-Accueil est plus qu’un service d’écoute…Tous les 3 ans, il s’agit de mener une réflexion approfondie sur un thème choisi par l’équipe. De 2017 à 2019, il a été question du thème « Accueillir et mettre des limites ». Télé-Accueil c’est aussi un observatoire social : Avec plus de 45.000 appels téléphoniques accueillis chaque année, Télé-Accueil se retrouve en effet dans une position de témoin de l’évolution de phénomènes sociaux majeurs : isolement, précarité, santé mentale, immigration, dépendances…. En grande proximité avec ses écoutants, l’observatoire recueille les témoignages, analyse les tendances, les confronte au travail quotidien d’autres associations de terrain plus spécialisées dans ces problématiques.

Bien évidemment, en respectant la confidentialité et l’anonymat, c’est parce que Télé-Accueil a jugé nécessaire, à un moment donné, de prendre la parole pour divulguer au corps social, aux professionnels et aux politiques les difficultés, dysfonctionnements, malaises, ainsi que le mal-être que les gens rencontraient, que cet observatoire social est né ! Ceci avec l’espoir que des solutions globales puissent être trouvées. L’observatoire a par exemple déjà réalisé des recherches comme « A l’écoute de la folie », « L’exclusion du marché du travail »…

Télé-Accueil et la Santé Mentale ?

Par rapport à il y a 20 ans, les questions relatives à la santé mentale sont beaucoup plus prégnantes dans les appels de Télé-Accueil. Et c’est très bien ainsi, Télé-Accueil est là pour cela aussi ! Au-delà de nos différences, nous avons un point commun : notre humanité et notre envie de parler et d’être entendu. Et c’est cela qui va d’abord être accueilli à Télé-Accueil. Parfois il y a une demande d’information, alors, Télé-Accueil oriente vers des lieux qui peuvent être des lieux thérapeutiques. Mais même quand Télé-Accueil oriente, le but premier est d’accueillir, pas de dire « allez voir ailleurs. » A l’heure de la super-spécialisation, Télé-Accueil veut rester un service généraliste et cela est tout à fait essentiel ! Le mal-être, le bien-être, c’est toujours multifactoriel. Il n’y a pas une cause et un effet. Télé-Accueil est également dans la prise en compte de ces différentes dimensions.

A l’occasion des 60 ans de Télé-Accueil, une exposition tourne, dont les œuvres en lien avec l’écoute et la parole sont réalisées par des artistes issus du champ de la santé mentale mais pas que... L’envie est d’associer à l’écoute et à la parole des champs divers comme la culture et, par là-même, de sortir du champ d’action habituel et de sensibiliser le grand public. Dans un monde où la machine prend le relais, où les serveurs vocaux téléphoniques nous baladent, Télé-Accueil veut plus que jamais, promouvoir l’idée de la nécessité de multiplier les lieux de parole et d’écoute. Pas sans la parole, pas sans la rencontre !

A l’heure du COVID

Télé-Accueil a été touché de l’intérieur aussi, mais a néanmoins réussi à maintenir ses permanences dans un cadre où les appels explosaient : la peur, le déni, le complotisme, les gens qui ne comprenaient pas les consignes…

Et qui est Pascal Kayaert, son Directeur à Bruxelles ?

Il y a 35 ans, Pascal Kayaert a fait le choix de ne pas faire son service militaire – qui était obligatoire à l’époque – et, en tant qu’objecteur de conscience, de faire son service civil. Travailleur psycho-social de formation, il est arrivé un peu fortuitement à Télé-Accueil pour des raisons administratives… Mais le hasard a bien fait les choses, car il lui semblait que, comme alternative à la guerre, une association où l’on écoute et où l’on parle était un choix juste. En effet, il est essentiel de parler des liens individuels ou sociétaux avant de sortir son fusil. Pour Pascal Kayaert, Télé-Accueil se trouve à l’articulation des questions sociales et des questions psy. Après 2 ans de service civil, fin des années 80, Télé-Accueil l’engage autour d’un projet concernant l’écoute des personnes atteintes par le HIV. Formateur d’abord, puis responsable de tout le dispositif de formation à Bruxelles (recrutement et sélection des écoutants, suivi des écoutants, formation continue des écoutants), ensuite Directeur adjoint, centré sur les questions cliniques et de formation, et enfin Directeur Général où ses tâches s’élargissent aux dimensions administratives, politiques et financières, Pascal Kayaert répond toujours présent avec la même motivation et un intérêt toujours grandissant ! Et sa fonction première reste avant tout d’être soutenant pour les écoutants bénévoles et l’équipe des travailleurs.

 

Propos recueillis par Sophie Céphale