Comme dans un bunker aux murs étanches
Irène (prénom d’emprunt), 80 ans, veuve, résidente depuis 3 ans à la maison de repos Aldante de Koekelberg, témoigne de la manière dont elle a vécu le confinement :
« De manière surprenante, j’ai relativement bien traversé cette période. Je ne me suis pas sentie prisonnière du temps parce que j’ai toujours trouvé à occuper mon esprit par mes lectures et mes recherches.
Je me souviens du matin ou la direction est venue nous informer étage par étage des nouvelles dispositions prises pour faire face à la crise. Cela a causé un grand choc et généré une forte inquiétude parmi les résidents de mon étage. Ce qui était difficile à vivre et à accepter était le manque de visibilité sur la durée des mesures prises. Nous étions confinés dans nos chambres. Les visites de proches étaient suspendues. L’impossibilité de voir mes fils a été très brutale et difficile à vivre.
Comme, j’écoute beaucoup les programmes d’information de la radio et de la télévision, je pouvais prendre la mesure de la gravité de la situation. Il faut que je vous dise : on se sentait comme dans un bunker aux murs étanches qui nous protégeaient, mais nous étions au courant par les médias.
Personnellement, je n’ai pas trop souffert de l’isolement, car j’ai pu continuer à lire et à faire des recherches, voyez-vous. Je suis une passionnée de lectures et d’étude des religions.
Par contre plusieurs résidents des autres étages ont arrêté de se battre contre leur maladie et se sont laissé aller. Ils ont baissé les armes. On ne sait finalement pas de quoi ils sont morts…
Ma foi, ma spiritualité, mes lectures, mes recherches, les émissions culturelles à la télévision m’ont véritablement portée chaque jour. Maintenant, ce qui continue à me déstabiliser, c’est l’incertitude des semaines et mois à venir… »
Ce témoignage a été collecté dans le cadre d’une visite au Home « Aldante » de Koekelberg.
« J’étais très angoissée sans nos rituels »
Simone a 76 ans. Elle a fait la rencontre de Louis (85 ans), en 2001. Une rencontre sur le tard, l’amour n’a pas d’âge. Ils ont vécu partiellement ensemble, chacun ayant conservé son appartement. L’hiver dernier, suite à des soucis de santé, Louis a dû entrer dans un home à Molenbeek. L’adaptation ne fut pas facile. Plusieurs fois par semaine, il avait l’autorisation de rendre visite à Simone et tous deux profitaient ensemble d’activités extérieures. Puis le confinement est arrivé… bouleversant plus encore leur quotidien.
Simone témoigne de cette fracture du lien social.
PFCSM : En pleine vague de coronavirus au printemps 2020, les Maisons de repos ont dû imposer un confinement forcé à leurs résidents. Comment avez-vous vécu cette période si particulière?
« Ce fut très très difficile pour moi, un peu moins pour mon compagnon, lui qui a toujours aimé la solitude, a moins souffert. Pour moi qui suis sans enfant, la rupture a été plus rude. Un téléphone avait pu être placé dans la chambre de Louis, mais cela ne remplaçait pas le contact direct. Pendant toute la durée du confinement, je passais au home, déposer pour lui des petits colis avec des livrets de sport cérébral, des « douceurs », du linge propre. Mais j’ai ressenti la précipitation des mesures comme très violentes et très contraignantes… Même si je les comprenais. »
PFCSM : Concrètement, comment se déroulaient vos journées pendant cette période?
« De mars jusqu’à la fin du mois de mai au moins, Louis, comme tous les résidents, a dû rester dans sa chambre y compris pour prendre les repas.
Les étages étaient « cloisonnés » sans possibilité d’aller visiter les amis aux autres étages.
Les soignants étaient très attentifs et venaient très régulièrement prendre des nouvelles… Trop peut-être ? Louis est devenu irascible, suite aux entrées répétées des soignants dans sa chambre : nettoyage/désinfection, prise de température…
Un jour, mon mari était tellement en colère qu’il s’est emporté contre les soignants et leur a lancé ses pantoufles, car il trouvait qu’on le dérangeait trop.
Son « sale caractère » l’a aidé et l’a finalement aidé à traverser ce moment, alors que d’autres résidents se sont laissé aller au « phénomène de glissement. »
PFCSM : C’est ce qui était le plus difficile à vivre, émotionnellement ?
« J’étais très angoissée, car je craignais énormément qu’il n’attrape le virus, à cause des entrées dans sa chambre. Je savais que je ne pouvais pas venir, alors je demandais à longueur de journée s’il était bien soigné.
Pour Louis, c’était très dur de ne plus pouvoir sortir de la résidence. Cette rupture de rythme dans notre rituel fut très pénible pour les deux. Au fil des semaines, lui en a pris son parti, pas moi. »
PFCSM : Avez-vous eu la sensation de vivre « sans lien » avec le monde extérieur ?
« Louis n’a jamais aimé regarder la télévision ou écouter la radio, c’était moi qui lui donnais les informations. Cet isolement a renforcé la rupture de lien avec l’extérieur. Je me rends compte qu’il ne sait pas combien il y a eu de morts en Belgique du fait du Covid ! En fait, il s’est replié sur sa « bulle d’intérêts ».
PFCSM : Les visites de votre famille et de vos proches ont été interdites pendant une longue période… Qui vous a annoncé cette mesure et qu’avez-vous ressenti à ce moment ?
« Je ne sais pas exactement comment l’info a circulé dans le home… C’est moi qui ai annoncé à Louis le fait que je ne pourrais plus venir le voir, dès que je l’ai appris. »
PFCSM : Quel effet cet isolement forcé a-t-il eu, au fil du temps, sur votre santé mentale ?
« Lui a été bouleversé par la rupture de leur rituel : il en était exaspéré certains jours, très énervé et irritable. Comme notre train-train était coupé, tout ce bouleversement a été épouvantable, vraiment. Et avec l’âge, je suis devenue plus inquiète. Le plus difficile fut cette restriction de libertés et de ne plus pouvoir aller à l’église. Ce fut un choc profond de réaliser que pour la 1ʳᵉ fois les lieux de culte aient été fermés, ce qui n’était même pas le cas pendant la guerre! »
PFCSM : Qu’est-ce qui vous a aidé pendant cette période?
La prière, les célébrations à la TV, le fait d’avoir plus de contacts avec les voisines, seules elles aussi, m’a fait du bien : pouvoir partager les ressentis, le mal être, les inquiétudes face au brouillard des jours.
PFCSM : Si vous aviez un vœu à formuler, quel serait-il ?
« Quand j’entends que les chiffres remontent, cela m’inquiète beaucoup, tout comme d’entendre la Première Ministre nous demander de rester fermes sur les mesures prises.
J’ai peur de voir les magasins se fermer à nouveau. Je ne vois pas quand je pourrai de nouveau aller le visiter et le faire venir chez moi.
Pourvu qu’on trouve très vite un vaccin efficace pour aider la population mondiale !
Que chacun ait beaucoup de patience… »
Ces réponses ont été collectées dans le cadre d’un entretien par téléphone avec Simone (prénom d’emprunt)