Je m’appelle Alice, usagère en santé mentale. J’ai envie de vous raconter aujourd’hui ce que fut pour moi le fléau de l’alcool. 15 années enchaînée à ce boulet, prise dans ses filets. Oui, l’alcool, c’est le plus grand fléau qui soit, l’addiction la plus pernicieuse qui soit puisque le produit est en vente libre, que la société méconnaît sa dangerosité et encourage même souvent sa consommation. Rescapée, je suis là aujourd’hui pour crier haut et fort que l’addiction, ça gâche une vie encore bien plus que des problèmes de santé mentale. J’ai perdu 15 ans de ma vie. 15 ans où je suis parvenue à fonctionner tant bien que mal, plutôt mal que bien d’ailleurs avec cette addiction. 15 ans où je suis passée à côté de ma vie.

A 40 ans, je me suis enfin posé cette question qui m’a sauvé la vie : Alice, as-tu envie de passer les 15 prochaines années comme les 15 dernières. Tu n’as plus de conjoint, pas d’enfants, tu as perdu la plupart de tes amis et ta compagne, ton amie, c’est la bouteille. Tu refuses toute activité sociale, divertissante pour pouvoir boire, chez toi, seule. Tu en as leurré certains, tu as parfois pu tenir un job par périodes avant de t’en faire virer, car on n’était pas dupe très longtemps ou si on l’était, la somme de tes incompétences te faisait perdre le job de toute manière. A ces périodes, tu buvais essentiellement en soirée et la nuit. Tu as même suivi des études en cours du soir où tu allais parfois sous l’emprise de l’alcool.

A 40 ans, tu as dit stop à tout cela. Tu as décidé de réorganiser ta vie. Il fallait pour cela que tu arrêtes de travailler, que tu arrêtes la spirale infernale dans laquelle tu étais engagée. Il fallait que tu t’occupes de toi et que tu mettes fin aux échecs professionnels consécutifs. Tu fréquentais les Alcooliques Anonymes depuis 4 ans en consommant. Tu y entendais parfois : un jour tu auras le déclic. Ne désespère pas, continue de venir : la porte est ouverte. Tu as découragé 2 parrains dans la foulée, mais tu y allais même si tu ne t’en sortais pas.

Comment finalement me suis-je arrachée à la bouteille ? Un jour, je me suis mise en mode que je vais appeler « pilotage automatique ». C’est-à-dire, j’ai stoppé net, du jour au lendemain, sans aide médicale. Je suis allée nager tous les jours, très loin de chez moi pour perdre du temps en trajets justement, perdre du temps ou en gagner, gagner chaque seconde, chaque minute, chaque heure sans boire. Chaque jour était un jour de gagné contre ce fléau. Le soir, j’allais en réunion AA, assister à une ou parfois deux réunions, je m’épanchais, je parlais, je voyais des têtes connues, rassurantes, j’entendais les paroles, les témoignages, les discours philosophiques parfois, un peu de religieux parfois aussi. J’ai fait cela pendant des mois et des mois.

Et puis un jour, j’ai découvert la température qu’il faisait dehors, j’ai entendu les oiseaux chanter, j’ai vu la couleur du ciel quand le soleil se couchait. J’ai compris aussi dans le métro que je n’avais plus 20 ans, car la plupart des passagers semblaient plus jeunes que moi. J’ai vu toutes ces femmes plus jeunes que moi, des bébés dans les bras. J’ai vu que mes cheveux étaient devenus gris. J’ai compris que le temps avait filé et que je ne l’avais pas vu filer.

Mon Rétablissement et quelques points que j’ai envie de souligner par rapport à la consommation d’alcool :

  • Le temps de la consommation a été long : presque 15 ans et en même temps terriblement court. Le Rétablissement s’est fait par un processus d’essais et d’erreurs. J’ai suivi une première cure en 2005. J’ai été abstinente ensuite pendant pratiquement 2 ans. Puis j’ai repris la conso, me croyant guérie. On ne guérit pas de l’alcoolisme. Pour pouvoir être dans le Rétablissement, l’abstinence totale est nécessaire. Je ne crois pas à la consommation contrôlée.
  • Si je m’en suis sortie en définitive, ce n’est pas avec les professionnels mais grâce aux Alcooliques Anonymes, un groupe de pairs. Importance de la pair-aidance dans le Rétablissement.

  • Il a aussi fallu sortir de la logique du « A quoi bon ». Quand on consomme, on est dans la logique du « A quoi bon ». A quoi bon vivre, la vie est quand même pourrie, donc on consomme, et plus on consomme, plus on déprime et plus on, déprime, plus on consomme. L’alcoolisme est un cercle vicieux duquel il est très difficile de s’arracher.

  • Pour arrêter la conso et pouvoir commencer à me rétablir, il a fallu que je me pose, que j’arrête le rythme frénétique : métro-boulot-alcool. Il a fallu que je me pose pour pouvoir redevenir actrice de ma vie. Pendant la conso, je subissais ma vie et j’étais incapable de monter le moindre projet. On subit sa vie sous l’influence de l’alcool.

  • Ce qui permet donc de rentrer dans un processus de Rétablissement, c’est le fait de redonner du sens à sa vie, de construire un projet. Moi, ça m’a amenée à participer à des réunions. Ça m’a permis de rentrer dans un réseau. Je n’avais plus grand monde autour de moi à l’époque. Je me suis donc refait des collègues de travail, des connaissances, des amis. L’isolement est la conséquence la plus lourde du fléau de l’alcoolisme. Un ex-colocataire à moi en est mort et a été découvert chez lui 15 jours après son décès. Ne pas oublier donc où mène l’alcoolisme… à la solitude et à la mort.

  • Je vais conclure avec un dernier point : la stigmatisation et l’auto-stigmatisation liées à la conso d’alcool. Je disais au début de mon témoignage que c’était pernicieux. D’un côté la société stigmatise très fort l’alcoolisme qui est une addiction souvent entachée de honte. D’un autre côté, elle pousse à la consommation : il est parfois difficile de refuser un verre d’alcool proposé avec insistance. La société est parfois comme en demande d’explications par rapport à ce refus. Cette stigmatisation et auto-stigmatisation crée aussi souvent le déni dans l’entourage et la conso cachée, ce qui n’aide pas à s’en sortir. L’isolement se renforce. S’en sortir dépend donc de l’individu mais se fait avec l’aide de l’entourage. Et il y a une responsabilité sociétale à l’alcoolisme !

Mais ON PEUT S’EN SORTIR, j’en suis la preuve vivante et bien vivante…

6 ans maintenant que je suis débarrassée de cette merde ! Un p’tit verre ? Non, plus jamais !

Alice