Les Mises en Observation à Bruxelles

Durant la crise sanitaire que nous traversons, le nombre d’hospitalisations sous contrainte à sensiblement augmenté en Région bruxelloise. Chaque jour, ce sont six patients qui sont dispatchés entre les 4 hôpitaux bruxellois qui sont agréés pour ce type d’admission : l’hôpital Erasme, le CHU Brugmann, Fond’Roy et le Centre Hospitalier Jean Titeca. Depuis 5 mois maintenant, le nombre de « mises en observation » demandées par le Parquet a pratiquement doublé. Ce type d’hospitalisation fait suite à une expertise psychiatrique réalisée, à la demande du Procureur du Roi, par 4 services d’urgence des réseaux hospitaliers bruxellois accessibles 7 jours sur 7 et 24h sur 24 (Cliniques Saint-Luc, CHU Saint-Pierre, CHU Brugmann et l’hôpital Erasme).

Qu’est-ce qu’une mise en observation au regard de la Loi du 26 juin 1990 ?

Dans le cas d’une mise en observation aucun fait criminel n’a été commis.

Il s’agit d’une mesure de protection impliquant une restriction provisoire de la liberté d’une personne en vue d’une hospitalisation. La mesure peut être prise à l’égard d’une personne pour autant que trois conditions soient remplies :

la personne doit présenter un trouble mental ;

elle doit mettre en péril sa santé et sa sécurité et/ou constituer une menace grave pour la vie ou l’intégrité d’autrui ;

aucun autre traitement ne peut être envisageable.

Une telle mesure ne peut être prise à la légère et nécessite que la personne requérante s’interroge pertinemment sur les conséquences que va produire l’enclenchement d’une telle procédure.

Souvent ce sont les proches qui tirent la sonnette d’alarme lorsqu’ils remarquent des symptômes qui comportent un danger potentiel. Les proches peuvent s’adresser à la police ou au Procureur du Roi. Mais, en dernier recours, c’est le Juge de Paix qui décide de l’admission forcée, après avoir pris connaissance de l’avis d’un psychiatre.

Les témoignages des soignants relèvent que dans les services hospitaliers spécialisés pour de telles admissions « on y rencontre le plus beau et le plus délaissé de notre humanité : la folie, celle qui se soigne mais ne se guérit pas, celle qui interpelle et fait peur, celle qui est violente, celle qui ne se reconnaît pas comme telle. »

Et les usagers ?

Dans les témoignages des usagers, l’admission forcée est souvent vécue comme une véritable épreuve tant pour le patient que pour ses proches. L’impression d’atterrir dans un autre monde, la réalité de la chambre d’isolement, le déracinement de son lieu de vie, le transport d’un hôpital à l’autre, l’encadrement policier, les questionnements des psychiatres, les questions du juge de paix, les interventions de l’avocat, le désarroi des familles…

La réalité sur le terrain

Depuis plusieurs mois, on assiste à une saturation des hôpitaux. L’offre hospitalière en psychiatrie à Bruxelles est insuffisante pour répondre à la demande et garantir une qualité des soins. Le risque d’entrer dans un cercle vicieux est grand : insuffisamment de places d’accueil à l’hôpital et dans les milieux ambulatoires, moins d’admissions volontaires et davantage de demandes de mises en observation avec un effet de saturation. De plus en plus souvent, le manque de places hospitalières implique des impositions de la part du Procureur du Roi. L’hôpital saturé doit alors interrompre des admissions pour faire place à de nouveaux patients.

Que dire du personnel soignant ? Rudement mis à l’épreuve en début de pandémie par l’absence de matériel de protection, le personnel soignant a fait face en garantissant la continuité des soins et des admissions. Une revalorisation du secteur de la mise en observation est indispensable. Un meilleur soutien aux soignants s’impose ainsi que des mesures de renforcement de l’offre psychiatrique et de l’encadrement des services psychiatriques spécialisés dans l’accueil et l’accompagnement des patients mis en observation.

Pourquoi cette recrudescence des hospitalisations sous contraintes ?

Un malaise sociétal ?

Force est de constater que durant cette pandémie, certains patients ont été perdus de vue. Face à leur souffrance, leur solitude aussi, leur désarroi, la santé mentale de certains d’entre eux s’est gravement détériorée.

Dans une interview accordée récemment sur Bruzz.be, le Docteur Geertje Stegen attribue une partie de la recrudescence des mises en observation au manque de places disponibles dans les institutions psychiatriques pour les patients chroniques.

Pour le docteur Gérald Deschietere, Chef du Service des urgences psychiatriques aux Cliniques Saint-Luc, à la différence de la Région wallonne et de la Région flamande, il faut pour Bruxelles tenir compte du contexte urbain. Ce phénomène s’observe d’ailleurs dans d’autres grandes métropoles. Le stress, les nuisances sonores, l’usage de stupéfiants, le nombre important de réfugiés avec des vécus de traumas de guerre, une croissance de la pauvreté, de l’exclusion et de l’absence de soins sont autant d’éléments qui augmentent le recours aux soins psychiques.

Certains indicateurs (l’augmentation du nombre d’isolés, un taux de chômage élevé, la hausse des prix du logement) activent facilement un processus générateur de souffrances psychiques.

Les médecins-spécialistes soulignent aussi une recrudescence de l’intolérance sociétale. Il arrive que la personne ne présente pas un danger mais qu’elle soit perçue comme dérangeante. L’hôpital représente dans certaines situations la dernière issue. Lorsque la société est au bout de ce qu’elle peut offrir, l’hospitalisation contrainte est parfois le dernier recours. Nous aurions tendance à avoir un recours plus systématique qu’auparavant à la psychiatrie, et ce pour des problèmes multiformes qui ne trouveraient pas de solutions ailleurs.

Il faut encourager les différents acteurs du secteur de la santé mentale à travailler en réseau multidisciplinaire avec notamment les sociétés de logement, les CPAS, les mutuelles, le monde juridique.

Luc Detavernier