Les liens sociaux sont importants pour l’équilibre humain, aussi bien somatique que psychologique.
En ces temps de distanciation physique due à la pandémie, il n’est pas inutile de rappeler que notre espèce est éminemment sociale et tactile. Les contacts avec nos semblables sont fondamentaux pour notre équilibre. Mais l’usage du téléphone ou de l’internet ne suffit pas à satisfaire ce besoin. Tous nos sens doivent être activés sous peine de déséquilibre. À défaut de compagne ou de compagnon, il a été mis en évidence par des études statistiques que les personnes qui cajolent régulièrement un animal de compagnie, leur chien, leur chat ou leur lapin, vont moins souvent voir leur médecin.
Le toucher :
Dès l’arrivée au monde nos nouveaux nés sont réconfortés par le contact avec la peau de la mère et du père. C’est principalement ce sens qui nous donne un sentiment de sécurité. Les embrassades, les bisous, les caresses sont des moyens de réconforts universels, avec des nuances culturelles bien sûr (1). Dans les pays où se pratique le portage du bébé et les contacts de peau-à-peau, les bébés pleurent beaucoup moins. En occident, ces contacts physiques diminuent au fil de la croissance des enfants. Cette séparation des corps est nécessaire, pour que l’enfant devienne une personne unique, différenciée et séparée de ses parents. À l’âge adulte, les contacts physiques intimes sont presque exclusivement réservés aux contacts amoureux. Et en fin de vie, ils sont presque entièrement remplacés par des contacts professionnels : kinésithérapies, massages thérapeutiques, soins hygiéniques.
Le regard :
On peut concevoir le regard comme une sorte de toucher à distance. De nombreux travaux ont prouvé qu’on trouve plus sympathiques les gens qui nous regardent bien dans les yeux, et plus particulièrement ceux qui nous regardent pendant une certaine durée. Le regard, un regard appuyé, par exemple, est une clé de ce qui initie les rencontres, notamment les rencontres amoureuses, mais aussi les sympathies, la confiance… Sous le regard des autres, on se montre toujours plus coopératif (2).
Une personne hospitalisée devient objet de soins et d’actes techniques. Elle peut se voir renvoyée, pour subir des examens, d’un service à l’autre. Le manque de temps et d’échanges humains est parfois vécu comme dépersonnalisant. Établir un contact tactile dans l’échange, lire dans le regard de l’autre qu’il ou elle est toujours une personne digne d’être touchée et regardée, l’aide à confier ses craintes et ses angoisses par rapport à la maladie.
La voix :
Depuis le ventre de la mère les petits d’hommes sont déjà sensibles aux bruits, aux sons… La voix de la mère est également fondamentale dans la communication avec le bébé. Le ton de voix est important, toute la vie, par-delà même les mots. La voix peut être bienveillante, réconfortante, ou au contraire agressive et malveillante. Le timbre et le volume sont des indicateurs que nous percevons inconsciemment pour évaluer l’interlocuteur. Une personne avec une voix équilibrée (pas trop haute, pas trop basse) et vivante sera plus charismatique et plus rassurante.
Ces quelques exemples nous montrent l’importance des interactions sociales pour garder un bon équilibre de vie.
En ces temps difficiles de pandémie et de confinement, une augmentation dramatique des hospitalisations en hôpitaux psychiatriques est confirmée. Le nombre de mises en observation (hospitalisation sous contrainte de justice) augmente aussi. Une carte blanche, signée par plusieurs psychiatres et parue fin juillet dans le mensuel « Le Vif », en souligne le caractère dramatique (3).
Dans « Le toucher relationnel au cœur des soins », Carine Blanchon (4) témoigne du cas d’une femme hospitalisée dont la souffrance physique se doublait de tensions d’origine émotionnelle, au point qu’elle hurlait de douleur tous les soirs. Les douleurs physiques de cette dame exprimaient de façon non-verbale un manque relationnel ressenti. C’est seulement après quelques séances de massage et de relaxation avec une infirmière spécialisée dans le toucher thérapeutique que la personne a pu trouver les mots pour dire ce manque de l’absence de son fils, un bambin de cinq ans, qu’on avait tenu à l’écart de l’hôpital, croyant faire pour le mieux, et qu’une visite de l’enfant a pu être organisée.
Le sens du toucher est sans doute le plus réprimé, dans notre société, au point de devenir une dimension cachée de tous nos rapports sociaux. Pourtant les gestes chaleureux, la disponibilité mutuelle et la tendresse ne sont pas un luxe superflu. Ils sont ce qui nous rend humains.
Jean-Paul Noël
(1) Le moi-peau de Didier Anzieu, Dunod, 1997.
(2) Cf. Revue de l’Académie des sciences britannique, 2006.
(4) Le toucher relationnel au cœur des soins, Carine Blanchon, Elsevier, 2014.