Voici deux enquêtes intéressantes sur la situation actuelle, réalisées par la Plateforme bruxelloise pour la Santé Mentale

1. Enquête auprès des usagers en Santé mentale concernant le premier confinement et déconfinement

Par la Coordination Usagers & Proches de la Plateforme bruxelloise pour la Santé Mentale

De la mi-juin 2020 à la fin juillet 2020, Interface, le groupe d’usagers et proches de la Plateforme bruxelloise pour la Santé Mentale, a mené une enquête en ligne auprès des usagers ou ex-usagers de services de santé mentale ambulatoires ou résidentiels. Cette enquête s’est déroulée en deux temps. Une pré-enquête a recueilli les opinions d’une quarantaine de personnes et a permis de déterminer les sujets de préoccupations principales de ce public, pendant le premier confinement et le déconfinement, pré-enquête liée au COVID-19. À la seconde enquête, plus détaillée, ont participé 109 personnes, à part quasi égale femmes et hommes, dont plus de la moitié (53%) était âgée de plus de 50 ans.

Cette enquête interrogeait les usagers sur leur ressenti quant au confinement et les difficultés qu’ils ont rencontrées durant cette période (stress, recrudescence de leurs symptômes, maintien des contacts sociaux avec le monde « extérieur », suivis médical et psychologique), ainsi que leurs attentes à l’heure du déconfinement.

Le premier constat que nous tirons des réponses collectées est qu’assez logiquement, la recrudescence des symptômes telle que déclarée par les participants, est fortement liée à quatre facteurs : leur état psychologique durant cette période de confinement, en ce compris leur niveau de stress et leur sentiment d’isolement lors de cette situation inédite; la rupture des contacts, en personne, avec leur famille et les institutions qu’ils fréquentaient habituellement ; la difficulté à maintenir un suivi médical, non seulement avec un psychiatre ou un médecin généraliste mais aussi avec un dentiste ou un kinésithérapeute ; enfin leur inquiétude face à leur situation financière et médicale à venir. Ces seuls facteurs suffisent à prédire si oui ou non une personne présente un risque de recrudescence de symptômes psychiques.

Pour décrire comment elles avaient vécu le confinement, ces personnes ont déclaré : « avoir été bien seul, mal avec mes proches » ou « très mal, j’avais peur, je me suis sentie comme abandonnée ».

Le deuxième constat que nous formons est que face au confinement, femmes et hommes n’étaient pas égaux : les femmes ont généralement éprouvé un niveau de stress supérieur aux hommes, ont plus souffert de la solitude associée au confinement et s’inquiètent plus généralement de leur avenir.

Sur une échelle de 1 (faible) à 5 (élevé), seule une femme sur 3 déclarent un niveau de stress inférieur au niveau 3 (32%) contre près d’un homme sur 2 (45%). Une femme sur deux a souffert de la solitude associée au confinement, contre un homme sur 6 (16%). Plus de la moitié des femmes s’inquiètent de l’impact de cette crise sanitaire sur leur santé mentale (54%) quand moins de 40% des hommes pensent de même.

Le troisième enseignement que nous tirons est l’impact que la COVID-19 a eu sur les liens sociaux des usagers : face à l’isolement, les usagers ont eu recours à d’autres moyens de communication.

Si 2 personnes sur 3 n’ont eu quasi aucun contact physique avec leur famille (68%) et 3 personnes sur 4 avec leurs amis (72%), 59% des femmes et 42% des hommes communiquaient avec leurs familles quasi quotidiennement, 45% des femmes et 31% des hommes avec leurs amis...

Plus généralement, la moitié des hommes ont maintenu des contacts physiques avec leur réseau proche quotidiennement, contre un tiers des femmes (35%), alors que « virtuellement » ce sont un tiers des femmes (34%) contre un cinquième des hommes (19%).

Enfin, nous notons que le système de soutien autour des usagers semble avoir tenu. La majorité des usagers ne semblent pas avoir rencontré de difficultés particulières à utiliser les nouveaux outils de communications. Seuls 15% d’entre eux ont été confrontés à des problèmes techniques.

Dans leur ensemble, les usagers considèrent également que le fonctionnement des institutions était plutôt bon et pour un quart d’entre eux, même très bon. À l’égard du personnel soignant, cette impression est encore plus positive puisque les trois quarts considèrent que le personnel a été bon ou très bon. Si plaintes il y a, elles concernent pour ceux qui en avaient besoin, la difficulté d’obtenir de rendez-vous chez un dentiste (69% des femmes et 59% des hommes), chez un spécialiste (50%) ou chez un médecin généraliste (33%).

En conclusion, il nous apparaît que les principales sources de difficultés rencontrées par les usagers se sont situées dans les modifications des repères qui rythme le quotidien des personnes interrogées. Quand le réseau personnel et professionnel reste relativement disponible, en combinant les ressources présentielles et virtuelles, s’il n’évacue pas la souffrance inhérente à la situation ambiante, il permet sans doute de la canaliser. L’isolement est probablement la première source de dégâts psychiques de cette crise sanitaire.

Il nous semble important de porter une attention particulière aux publics les plus fragiles comme les femmes de plus de 50 ans qui vivent seules par exemple. La création de maisons de liens, d’espaces communautaires et d’accompagnement psychosocial pour les usagers en santé mentale devrait pouvoir atténuer les difficultés liées aux crises présentes ou à venir et la problématique de l’isolement.

 

 

2. Enquête auprès de professionnels des secteurs Assuétudes et Santé mentale concernant l’impact de la première vague de la crise COVID-19 sur leurs pratiques et leur santé mentale

par la Coordination Assuétudes de la Plateforme bruxelloise pour la Santé Mentale, le 30-10-2020

Introduction

Quand l’option d’un re-confinement est de plus en plus souvent évoquée pour prévenir la diffusion de la COVID-19 parmi la population générale, la Plateforme de Concertation en Santé Mentale pour la Région de Bruxelles-Capitale livre les résultats de deux enquêtes menées par la Coordination Assuétudes, auprès de professionnels (psychiatres, infirmier·ères, assistant·es social·es, etc…) des secteurs Santé mentale et Assuétudes (centres de jours, Initiatives d’Habitations Protégées, consultations spécialisées en assuétudes, etc…) .

Ces enquêtes d’opinion poursuivaient le double objectif d’étudier l'évolution des pratiques du personnel soignant prenant en charge une population d'adultes présentant des problèmes de santé mentale et/ou d’addictions et, de saisir les effets sur les soignants, en termes de santé mentale pendant et après la période de confinement (13 mars – 28 mai 2020) due au COVID-19 et ce pour le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale.

215 professionnels ont répondu à l’enquête. 173 personnes se sont identifiées comme professionnels de la santé mentale et 42 comme professionnels du secteur des Assuétudes. Il y a 25% d’hommes parmi les répondants et 75% de femmes.

Ces enquêtes bruxelloises mettent en évidence les points suivants:

Synthèse des constats

1. Les professionnels interrogés ont globalement la perception que si le nombre de patients pris en charge a pour certains diminué durant le confinement, il a en revanche augmenté ensuite. Ainsi, 87% d’entre eux pensent que ce nombre a augmenté ou fortement augmenté entre mars 2020 et juillet 2020, date de clôture de l’enquête.

2. Les manifestations symptomatiques telles que les troubles anxieux, dépressifs et la surconsommation, dont l’alcool sont en nette augmentation. 65% des professionnels estiment que les symptômes anxieux ont augmenté chez les nouveaux patients et les patients connus des services, 43.7% pour les troubles dépressifs et 42.5% pour les addictions à l’alcool.

3. Les professionnels spécialisés en Assuétudes constatent également une hausse de la consommation de tabac, d’hypnotiques et de sédatifs (29%), de cocaïne (24%) et de cannabis et jeux (17%).

4. Du fait des contingences du confinement, tous les professionnels, n’étaient pas égaux face à cette crise, selon que leurs services soient restés ouverts ou que leurs contacts avec les usagers étaient en présentiel ou non.

Certaines catégories de professionnels se sont senties plus stressées que d’autres. Sur une échelle décroissante, les éducateur.trice.s de rue apparaissent, dans cette crise comme proportionnellement plus stressé.e.s,, suivent les psychologues, les infirmier.ère.s et les assistant.e.s sociaux et les psychiatres.

5. Les risques de complication liées au stress concernent en moyenne 1 professionnel sur 4 dans les équipes pour le burnout et 1 professionnel sur 4 également concernant le stress chronique.

6. Les principales causes de stress pour les professionnels, durant cette première période de confinement, sont liées à l’organisation et aux conditions d’exercice de leur métier (manque de matériel, support entre travailleurs, temps de repos, degré de proximité physique avec les usagers, .etc…).

7. Près d’un tiers (27%) des travailleurs interrogés et présentant des difficultés de stress, estime que leur direction n’en est pas consciente.

8. L’isolement des patients et le sentiment de l’augmentation de l’agressivité vis-à-vis des soignants, particulièrement dans les services résidentiels, peuvent être interprétées comme deux conséquences directes des effets délétères du confinement sur la santé mentale de tous et sur le surcroît de pression mis sur les services de soins et les professionnels.

Propositions et conclusion

Prendre soin en se donnant les moyens de préserver la santé mentale de la population bruxelloise, nécessite d’absorber l’augmentation et l’intensification des cas sans demander au personnel en place de se SUR-adapter.

Cela ne pourra se faire sans moyens supplémentaires permettant aux professionnels d’exercer leurs métiers dans des conditions suffisamment « confortables ». La qualité des soins en dépend directement.

De plus, en plein cœur d’une deuxième vague de contaminations, sachant que les professionnels de la santé mentale et des assuétudes sont, à nouveau, sollicités intensément; que logiquement, le risque de sur-adaptation ne va pas en décroissant, entraînant avec lui son lot de complications (absentéisme, maladies professionnelles, impact négatif sur les prises en charge) et que le nombre de patients a globalement significativement augmenté, il est essentiel de prendre une série de mesures, de crise, ponctuelles ou plus structurelles pour affronter les mois à venir.

Soutenir les conditions d’exercice des différentes fonctions des professionnels est déterminant pour leur permettre d’effectuer leur travail, avec une dose de stress qui reste acceptable et ce, pendant et après la crise du COVID-19. Les propositions sont les suivantes :

1. Une augmentation de la possibilité de recourir à un temps de récupération (temps de repos) des professionnels, leur permettre de s’appuyer suffisamment sur le collectif (intervision, supervision), sur d’autres professionnels (consultations psychologiques) et sur la hiérarchie (mesures de management : communication, soutien, etc…) ;

2. Un renforcement du personnel infirmier, psychologue, éducateurs de rue, a minima pendant la crise, (possibilité de remplacer quand congés maladie et adaptation de la gestion du personnel en ajoutant des engagements pour des contrats à durée déterminée et/ou en tant qu’indépendant complémentaire) ;

3. Une offre de service d’outreach et présentiel pour professionnels en difficultés (stress professionnel, burnout, épuisement professionnel, deuil et SSPT), viser certains types de professions en priorité, tels que les éducateurs.trices, les infirmier.ère.s et les psychologues pourraient s’avérer utile ;

4. Une information précise et détaillée concernant les complications liées au stress professionnel et leur détection ;

5. Une liste de professionnels spécialisés à disposition des professionnels de la santé mentale et des Assuétudes ;

6. Un accompagnement technique (offre de programmes de visioconférence, ressources de formations à disposition) et matériel (protection pour travailler en sécurité) ;

7. Un soutien ponctuel aux coordinations d’équipe ;

8. Un accompagnement indirect aux familles (congés corona, temps de récupération post vague, aide à domicile, chèque repas, livraisons à domicile, etc.)

9. Un accompagnement particulier au programme traitant l’alcool qu’il soit dans la prise en charge directe des patients en ambulatoire et résidentiels ou dans la formation de professionnels.

10. Un accompagnement et une disponibilité accrue pour les patients isolés ou ressentant un isolement. Par exemple, sous forme d’un accueil et dispatching téléphonique et présentiel.

11. Une possibilité de mise à l’abri renforcée notamment pour les situations de violences intrafamiliales et conjugales.

Il va de soi, et plus encore en temps de crise, que la cohérence et la concertation des mesures, des objectifs et des priorités entre les différents niveaux de pouvoirs est capitale pour le bien-être des professionnels et par là même pour la qualité de prise en charge des usagers, des bénéficiaires et des patients et ce, tant dans la logique que dans la communication.

De plus, il y a lieu de s’inquiéter directement de la santé mentale des patients qui s’adressent aux services et aux institutions interrogées, particulièrement concernant les troubles dépressifs, les troubles anxieux et une attention particulière devrait également être consacrée aux phénomènes de surconsommation et d’Addiction à l’Alcool ainsi qu’aux problèmes somatiques.

Enfin, last but not least, on connaît l'impact de la paupérisation sur la santé mentale en tant que l'un de ses déterminants. Le nombre de personnes fragilisées socialement va s'accroître dans les mois à venir, il y a lieu de prendre des mesures de crise/mesures structurelles concernant les droits sociaux de base : la mise à disposition de logements adaptés, les revenus d'aide aux personnes, de l'accès à l'alimentation...